LA TABLE DES OPERATIONS VERSION 9.1
SAMEDI 27 SEPTEMBRE 2014
ESPACE KHIASMA

 

 

La table des opérations est un essai d’investigations poétiques en cours d’écriture. Frank Smith y déploie la typologie des dispositifs, protocoles et processus qu’il met en œuvre dans son traitement poétique du matériau documentaire. Pour le festival RELECTURES 15, c’est cette table elle-même qui s'est matérialisée en plateau de jeu (dit « de société ») : communion sous le sigle de l’AFP, dont les règles et le rite ont été inspirés par L’ABC de la guerre de Bertolt Brecht.

 

-- La table des opérations en écoute ici sur R22 Tout-monde --

 

-- Dans le cadre de la résidence "Écrivains en Seine-Saint-Denis" de Frank Smith à l’Espace Khiasma et aux Archives nationales, un dispositif initié par le département de la Seine-Saint-Denis --

Photos © Julien Guillery

 

 

RAMPE DE LANCEMENT DE LA TABLE

 

Je voudrais présenter les résultats d’une expérience d’écriture dont le processus fait agir la page comme une table. Sur ce plateau aux assises multiples, sont réalisées une série d’opérations où fonctionnent autant de notions dynamiques connectables les unes avec les autres et composées comme un ensemble de divers anneaux brisés qu’on utiliserait comme pour la pêche au leurre : chacun bifurque dans l’autre (piétine, avance,  rétrograde, rebrousse chemin) afin de cerner dans quels cas il y a l’événement « écriture & politique » et ses convergences imprévisibles dans des zones poétiques dynamiques et inattendues. Je les rassemble à l’intérieur d’un album d’esquisses sous la forme d’un traité — face au monde et au-devant de la langue. Les opérations en question sont les suivantes : Documenter ; Dupliquer/Translater ; Objectiver ; Neutraliser ; Monter ; Désubjectiver/Dépersonnaliser ; Co-errer ; Désexprimer ; Chercher/Trouver ; Ouvrir.

Je nomadise le long de la ligne de jonction entre la poésie et le politique, qui voudrait faire tendre le langage vers une limite à partir de laquelle dériver par des détours intensifs afin de révéler la vie actuelle dans les choses. Je poursuis une voie et m’y tiens. On expérimente, on articule, on mesure les tensions qui se créent au sein de ce qui arrive dans le monde, on rend des hommages à d’autres écrivains. C’est une table de dissection en acte.

Cette démarche n’est pas sans se fier à la fameuse recommandation de l’écrivain américain Charles Olson dans une lettre adressée à Ed Dorn en 1955, dans laquelle il conseillait au jeune poète de s’en tenir à un site spécifique et de faire de cette matière première un langage : « Et s’ancrer à cet endroit représente toute une vie d’assiduité. Le mieux, c’est de creuser une seule chose, un seul endroit, un seul homme jusqu’à ce que toi, tu en saches + sur la question que n’importe qui d’autre. (…) épuise le sujet. Sature-le. A fond. Et là TU SAIS tout le reste très vite : un seul truc jusqu’à saturation (ça peut prendre 14 ans). Et hop, c’est gagné, pour toujours. »

Aujourd’hui, je voudrais essayer de définir avec vous cet espace blanc d’où je parle et qui prend forme lentement dans un discours que je mets en œuvre au coeur de mon traitement poétique du matériau documentaire. Je ne procède pas par déduction linéaire, mais plutôt par cercles concentriques et je circule du dehors vers les plus intérieurs. Je ne me considère jamais comme une conscience parlante, ni comme un auteur de formulations, mais je tente d’adopter, de passer par des positions qui peuvent être remplies sous certaines conditions par des individus dont la parole a été anéantie. Je cherche avec vous à savoir, à travers de tels agencements mobiles, comment ça fonctionne. Un propos qui voudrait établir une possibilité et que je sens si précaire et si incertaine encore quant à moi : quels nouveaux rapports avons-nous avec la vie, avec le langage, avec le mal qu’on fait à l’autre aujourd’hui.

 

(...)