ON DIRAIT UN
RASSEMBLEMENT
SURPLIS
EDITIONS ARGOL, 2014
➛ Qu'est-ce que ça veut dire, « penser à quelqu'un » ? La pensée à quelqu'un est-elle une pensée comme les autres ? Serait-elle vide, comme le prétendait Roland Barthes ?
Les chemins de pensées à toi, cela passe par un itinéraire feuilleté presque nécessaire et comme objectif, ils ne sont bientôt plus superposables aux sentiers forestiers. En agitant nos mains, nous causons une vibration dans l’atmosphère ambiante : désormais « Je pense à toi » n’est plus à toi, et cette série de compositions multiples — signes, traces, preuves, indices, legs — dresse un livre-plateaux portatif. Chaque pensée à toi est comme au bord d’un précipice. Chaque pensée à toi est au bord de son précipice : aucune pensée ne peut se perdre, les pensées ne brûlent jamais, la pensée déserte la pensée.
Surplis est un livre publié aux éditions Argol, né d'investigations littéraires et poétiques menées au cours d'une résidence au Domaine de Chamarande (Essonne) en 2013 (programme de résidences d'écrivains en Ile-de-France), où Frank Smith a présenté une installation collaborative texte/son/vidéo dans l'Orangerie (été 2013).
Il a composé son livre à partir d'un enquête branchée sur la collection de cartes postales des archives du département autour des infinies possibilités d’énonciation de la formule « Je pense à toi ». Par épuisement des expressions, des intentions, des expéditeurs et des destinataires, il a engendré son propre « Je pense à toi », multiple et démultiplié.
En collaborant avec les enseignants de l'Ecole Estienne (école supérieure des arts et industries graphiques) sous forme de concours proposé aux étudiants de la promotion 2013, son projet est devenu une création graphique originale. Le livre agencé par Julie Patat reprend de façon singulière les critères classiques de la composition éditoriale tout en détournant les normes de mise en page et de volume...
Ce livre est donc un objet plastique, graphique, poétique unique. Un labyrinthe feuilleté de traits de pensée qui pose un art des intervalles.
➛ Comment ça se passe, ici ? Comme il y a beaucoup de fragments, on dirait un rassemblement.
Il y a une combinaison de traits de pensées pliés les uns sur les autres par effets de coupures et rabattus aussi au-delà même des plis comme des opérations de vent visant à produire une adresse. Où on est conduit à expérimenter des labyrinthes et emprunter des carrefours et à commencer à se positionner.
Il n’y a pas de points de forage, je ne pense pas, mais il y a des colonnes d’air où 'je' et 'toi' ne sont plus forcément à saisir comme des entités simples ou identiques ou présentes à soi.
Il y a des réflexions mobiles associées par court-circuit selon une temporalité qui n’est plus du tout celle de la succession — les mots se voient désormais embranchés selon une série de lignes qui s’éclairent en se répétant et qui redistribuent les constellations de la pensée.
Et puis il y a habiter ce monde : il y a développer par microplissements spontanés une aptitude aux intervalles et il y a décompenser l’ouverture.
Les chemins de pensées à toi, cela passe par un itinéraire feuilleté presque nécessaire et comme objectif, ils ne sont bientôt plus superposables aux sentiers forestiers.
Relais : www.jepenseatoi.net
Plus liturgique qu'il n'y paraît à première vue, Surplis, par la friction de ses lectures, son invitation à un travail de navette de la pensée, finit par composer un chœur d'énoncés troublant parce que sans doute troublé. Une musique naît des interstices, des clivages, des oblitérations – on y entend alors résonner, ténu, têtu, le "la de l'intempestif", quand le "je pense à toi" se change en "tu manques à ma pensée".
Claro
La manière dont ce livre présente la matière mémorielle est indéniablement
plastiquement intéressante et symptomatique. Dans un temps qui préfigure une mémoire horizontale, ou tout est accessible par des repères en surface, ce livre évoque les
couches irrégulières qui constituent notre réseau mémoriel.
L'humain révèle la pesanteur de son propre fonctionnement, l'ubiquité de sa pensée. Mais la machine est maintenant là, enfantant bientôt ses propres rêves. Alors il sera temps de revenir des hommes.
Frédéric
Vaillant
Une recension par Bruno Fern pour sitaudis
Une recension par Claro, Le Clavier cannibale
Une recension par parisART
Une recension par Colette Tron, Cahier critique de poésie