L'ATLAS POÉTIQUE DES SOLIDARITÉS :
SOLIDARITÉ/SOLIDAIRE
ÉTYMOLOGIE ET RACINES
Étymologie
1. 1584 dr. obligation solidaire (J. Duret, Commentaire aux coustumes du duché de Bourbonnois, § 35, p. 274) ;
2. id. «se dit des personnes liées par un acte solidaire» (Id., ibid.) ;
3. 1739-47 «se dit des personnes qui ont une communauté d'intérêts ou de responsabilités» (Caylus, Œuvres badines, X, 41) ;
4. 1834 «se dit des choses qui dépendent l'une de l'autre» (Béranger, Acad. et Cav. ds Littré) ;
5. 1861 mécan. «se dit des pièces d'un engrenage dont le fonctionnement est lié» (M. Cournot, Traité de l'enchaînement des idées fondamentales dans les sc. et dans l'hist., t. 1, p. 80).
Dér. de solide* ; suff. -aire1*, pour rendre compte du lat. jur. in solidum «pour le tout», «solidairement».
Racines de la "solidarité"
Par Giovanna Covi (Université de Trente, Italie)
Extrait d'un article traduit de l'anglais par Frank Smith
(In La crise européenne. Reconsidérer la solidarité avec Leela Gandhi et Judith Butler)
L’enracinement classique du mot se trouve dans la phrase juridique latine solidum obligari, qui fait référence à l’obligation de payer intégralement sa dette. Par conséquent, solidum signifie avant tout entier, complet, entier. Deux mots en italien dérivent de solidum et portent sa deuxième signification connexe : soldo (argent) et soldato (soldat), se référant à une personne qui, au Moyen Âge, se battait pour de l'argent. Ces deux mots ont le sens de solide, compact, robuste. L'enracinement classique lie ainsi la solidarité à la loi — spécifiquement à l'argent, en totalité, et aux soldats, solidement (solidarietà dans Enciclopedia Treccani). Ce n'est qu'à la Révolution française que l'enracinement moderne de la solidarité s'est fondé sur des valeurs sociales et éthiques. Après 1789, le mot solidarité est venu en anglais moderne (et aussi en italien moderne) de la solidarité française, étendant son sens du domaine juridique et économique classique au champ sémantique idéologique. Ce n'est qu'à ce moment-là qu'il est venu indiquer le sentiment nationaliste de fraternité partagé par les citoyens au sein de la démocratie, associé à la liberté politique et à l'égalité. Peu de temps après, son champ sémantique s'est encore élargi pour inclure l'éthique : en 1848, la solidarité sociale s'est couplée à la solidarité de classe, et le mot solidarité a acquis un statut éthique avec le sens connexe d'entraide. La traduction du français vers l'anglais de la Convention chartiste du Mouvement International des Travailleurs a scellé ce passage. Solidarity / Solidarité est venu indiquer le soutien à une lutte commune pour le travail et les droits civils ; elle signifiait plus que la communauté parce qu’elle s’étendait aux étrangers, et plus que la philanthropie parce que l’aide était donnée sur les terres des autres, pas sur la sienne propre. L'enracinement moderne lie ainsi la solidarité à la communauté — spécifiquement à la nation démocratique, dans la fraternité, et aux classes ouvrières du monde entier, dans la camaraderie.
Dans l'idéologie socialiste, la solidarité exprime l'égalité basée sur la confiance mutuelle ; le mot constelle la littérature majeure, de Karl Marx, Friedrich Engels à Pierre-Joseph Proudhon (solidarité dans l'Encyclopédie du marxisme). Le sociologue Émile Durkheim articule une théorie de la solidarité sociale, définie comme organique, qui, sur le front libéral, est défendue par John Maynard Keynes comme base de l'État providence. Cette adaptation libérale déplace l'action du concept de solidarité des mouvements sociaux libres vers l'État structuré. À notre époque, dans la mondialisation contemporaine, la solidarité exprime le rêve d'une humanité communément partagée ; il est associé à l'amour et à la charité. La culture de solidarité fait référence au travail bénévole pour aider les nécessiteux mais aussi aux organismes de collaboration internationale qui recherchent la paix et les droits de l'homme. De toute évidence, dans la modernité, le concept de solidarité sociale, nationale et internationale, est profondément enraciné dans le politique. En tant que telle, la solidarité se configure plutôt comme une proposition que comme un concept, d'une manière comparable à la proposition d'Égaliberté d'Étienne Balibar, comprise comme une condition aporétique enracinée dans l'idéologie bourgeoise mais dotée d'un potentiel révolutionnaire, universel et pragmatique, une tension qui détermine le champ politique dans lequel la souveraineté populaire sans exclusions peut se produire. Dans Solidarité : de l’amitié civique à une communauté juridique mondiale, Hauke Brunkhorst analyse théoriquement et historiquement le potentiel de solidarité au sein de la mondialisation et plaide pour une solidarité civique transnationale enracinée dans les mouvements sociaux et normée par les institutions démocratiques.