LATLAS DES 2-MERS

14 FILMS ET 4 INSTALLATIONS VIDEO

 

 

 

 

LE FILM DES POINTS DE VUE

 

Vidéo, son stéréo, 25 mn 

 

L’enjeu de cette installation vidéo paysagère consiste à observer l’anatomie des espaces du Fort Vert, à les déchiffrer et à tenter de les « épuiser » sous une pluralité d’angles de vue équivalents à autant de « points de témoignages ».

Le Film des points de vue procède, pour ce faire, en la succession de 10 séquences de 2 minutes 30 secondes, composées de 4 plans fixes synchronisés — chacun de ces plans étant orienté vers un point cardinal différent. L’installation les fait résister dans la durée puis disparaître progressivement : chaque séquence, composée de sons d’ambiance spatialisés prélevés in situ, s’achève par un fondu vers la couleur qui domine chaque plan comme si la scène en venait progressivement à s’immobiliser. Cette mise en exergue de la synchronie, de la multiplicité et de la variété co-active des points de vue, du segment temporel porté par un usage statique de la caméra documente le statut foncièrement artificiel des lieux qui, avec le temps, sont toujours les vestiges d’un instant privilégié — celui de leur représentation.

Le Film des points de vue entend ainsi, par son caractère perspectiviste, se rapprocher des conceptions de Fernand Deligny quant au geste de camérer : « Camérer implique un certain point de voir qui garde traces de ce qui a lieu dans ce champ qui lui est propre. Ce point de voir erre dans une tentative ». Répondant également à l’injonction du cinéaste américain James Benning pour qui « le paysage est une fonction du temps », la structure de cette installation permet une pluri-lisibilité ou encore une pluri-vision des espaces qui fondent le site du Fort Vert : faire voir et montrer pour pouvoir savoir et peut-être prévoir — à la manière d’un phare qui éclaire depuis une multiplicité de positions dans le but d’éviter les écueils et de porter secours. Le paysage se recomposerait ainsi à la faveur de ses nuances. 

 

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LE FILM DE L’INAPERÇU

 

Vidéo, son stéréo, 31 mn 

 

 

 

« En marchant, le regard toujours dirigé vers le sol où il savait qu’il n’y avait sous le feuillage que des feuilles et de l’argile, son regard s’affutait pour les apparitions espérées, sans que le marcheur fît quelque chose de plus ; de la même façon qu’il se mettait à marcher, il se mettait justement à voir là où il n’y avait rien de particulier à voir ; quand ensuite il parvenait aux endroits qui étaient prometteurs, ses yeux étaient prêts. »

Peter Handke, Essai sur le fou de champignons

 

 

Cette installation incite à la contemplation de l’ensemble du site du Fort Vert par la captation de moments furtifs et résiduels qui peuvent y apparaître : chaque détail de changement, aussi infime qu’il soit, s’érigerait ainsi au statut d’événement pour conquérir progressivement sa réalité.

Déployé en triptyque, Le Film de l’inaperçu constitue ainsi une vidéographie polyphonique des lieux à travers la succession de séquences fixes de 75 secondes, composées chacune de 3 plans synchronisés qui concentrent l’attention du spectateur sur le mouvement interne de ses tonalités propres. En rendant présents les éléments ordinaires qui se dispersent au sein de cet « Espace naturel sensible », Le Film de l’inaperçu tâche de rendre compte de la qualité des matières et des textures qui le composent pour attester de leur valeur, en capter les vibrations et les faire vivre en elles-mêmes.

Le Film de l’inaperçu voudrait arracher aux clichés des relevés visuels en les faisant résister dans la durée et appeler à percevoir les espaces du Fort Vert au-delà de ce que l’on croit connaître de leur existence prétendument familière. « Sa forme en triptyque, le décalage son/image rendent le visible étrange, comme flottant, à la fois là et en retrait, ce qui transforme la zone entière en une chose élémentaire voire primaire. » (Jean-Philippe Cazier) 

 

 

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LE FILM DES 2-MERS 

 

Vidéo, son stéréo, 6 mn 

 

L’Organisation hydrographique internationale définit les limites de la Manche avec la Mer du Nord selon une ligne joignant Leathercote Point (Dover Patrol Memorial, au nord-est de Douvres) (51° 10′ 02′′ N, 1° 24′ 08′′ E) au phare de Walde (à l’est/nord-est de Calais) (50° 59′ 40′′ N ; 1° 54′ 55′′ E).

Le Film des 2-mers matérialise par l’image et le son cette frontière invisible à l’œil nu et lance un pont imaginaire entre les rives anglaise et française. Il confronte cette ligne invisible avec la frontière politique qui sépare les deux pays et aspire à nouer des liens entre ces espaces à la fois proches et lointains. La possible réalisation d’une jonction entre les deux côtes devient ici tangible au moyen d’un dispositif symétrique constitué de deux moniteurs placés l’un en face de l’autre, se regardant jusqu’à se confondre. À travers cette liaison des deux rives, l’illusion d’optique symboliserait, en quelque sorte, un désir d’union et de réparation de la fracture géopolitique. 

 

 

 

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LE FILM DE LA TERRE

 

Vidéo, son stéréo, 41 mn 

 

Le Film de la terre est une invitation à l’errance. « Road movie », au sens littéral du terme, il dessine un itinéraire qui part de la route principale du site du Fort Vert, depuis la rocade (N 216) menant au port de Calais jusqu’au hameau des Hemmes de Marck en empruntant le Chemin des Dunes.

Fixé au niveau de la portière d’une voiture, l’objectif de la caméra vient cadrer le sol en plongée qui dé le à sa perpendiculaire : le lm est traversé par un mouvement formel incessant, vers le haut, vers le bas, de gauche à droite, de droite à gauche ou selon les quatre diagonales, à des vitesses variables. Progressivement, l’asphalte de la route cède la place à des chemins caillouteux puis à des sentiers de nature plus sauvage, engageant une méditation texturelle qui dérive vers le monochrome et les déclinaisons de l’abstraction picturale. Composition sonore mixant des ambiances avec des éléments musicaux réalisée par Gilles Mardirossian. 

 

 

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LE FILM DE LA TRAVERSÉE

 

Vidéo, silencieux, 74 mn 

 

Le Film de la traversée est composé de deux types d’images superposées : dans la partie supérieure de l’écran, un plan-séquence xe de la durée exacte de la traversée en ferry entre Calais et Douvres ; dans sa partie inférieure, un plan- séquence fixe orienté sur la mer et filmé au retour Douvres-Calais.

Le Film de la traversée dévoile ainsi la frontière spécifique qui sépare la France et l’Angleterre en son point le plus court (une trentaine de kilomètres) : il est une invitation au passage. Alors que certaines populations se voient interdites de la franchir et se trouvent contraintes et empêchées dans leur volonté de se déplacer, cette installation prend en considération cette limite en la donnant à voir tout au long de sa progression. Cette traversée en image du détroit du Pas- de-Calais semble déjouer le principe d’assignation à un territoire tel que décliné au sein de nos sociétés sécuritaires : elle fait éclater en quelque sorte cette démarcation qui n’existe que dans la mesure où il y a des corps pour la franchir ou la subir et interroge l’augmentation des entraves à la mobilité humaine — à l’heure de la libre circulation des marchandises, de l’information, de l’argent et des capitaux dans un marché mondial globalisé. 

 

 

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UN FILM À PERTE DE VUE 

  

Vidéo, son stéréo, 13 mn 

  

Un Film à perte de vue est constitué de 3 panoramiques successifs au cours desquels la caméra tourne et balaie sans se déplacer, faisant vibrer en intensité les images.

Ce lm a été tourné sur la plage du Fort Vert au moyen d’un dispositif mécanique inédit, élaboré par Hugues Templier, qui permet de manipuler la caméra selon plusieurs types de directions (horizontalement, verticalement, diagonalement) et à diverses vitesses. Les effets combinés de cet instrument artisanal permettent de révéler la réalité captée par un « œil sans corps », comme le disait Michael Snow de son lm La Région Centrale (1971), auquel un fiLm à perte de vue veut rendre hommage, se déplaçant librement dans l’espace autour d’un point central qui n’est jamais montré.

Cette épreuve de la perte des repères, en quadrillant aléatoirement la grève du Fort Vert, conduit à une expérience en apesanteur. Ses mouvements répétés voudraient atteindre la puissance de ce qu’on appelle en mécanique céleste la « vitesse d’évasion », qui permet de « s’éloigner indéfiniment d’un astre malgré l’attraction gravitationnelle de ce dernier ». La bande-son a été élaborée par Gilles Mardirossian à partir de multiples flux d’ambiances prélevés sur le terrain. 

 

 

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LES FILMS DES OBJETS

 

12 vidéos, silencieux, durées variables 

 

Une série de 12 films courts, d’une durée variable (de 26 secondes à 3 minutes), comme autant de polygraphies qui documentent des installations paysagères éphémères disposées dans les espaces du Fort Vert au cours de l’été 2023 pour sortir de l’unicité des lieux et exprimer des digressions : Bordures, Cahier blanc, Carré blanc, Carré noir, Cerceau, Lettrages, Mausolée, Miroir clairière, Plage2, Portique au miroir, Portique au vent, Transitions...

D’apparence indéterminée, ces interventions, réalisées en collaboration avec le plasticien Jules Doriath, agissent sur le paysage. Métaphore de la non-appartenance à un territoire donné, cette série de dispositifs interroge les lieux avec pour visée de faire émerger un sens inédit au contexte, essentiellement par le contact avec le sol et la surface terrestre : ils correspondent à autant d’objets ou éléments indépendants qui rechargeraient en d’égales potentialités l’environnement dans lequel ils ont été insérés — jusqu’à un renversement possible des points de vue. 

 

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LE FILM D’EN FINIR OU PAS

 

Vidéo, son stéréo, 41 mn

  

On marche.

Une personne lambda (Garance Clavel) marche, qui ne se distingue par aucun trait remarquable. Le mouvement obsédant de cette personne quelconque est parfaitement sans objet si ce n’est qu’il épuise la totalité des sentiers du site du Fort Vert comme autant de lignes mélodiques en devenir : on marche, on trace sur le sol les pas de la marche, irrémédiablement. « Moyenne », cette personne traverse l’espace naturel dont elle accentue le caractère sensible, elle s’interroge et questionne les lieux...

Cette figure, intermédiaire, toujours fixée dans un flux en train de se faire, n’est déterminée que spatialement, elle n’est affectée de rien d’autre que de son ordre et de sa position. À la force de son déplacement, elle conquiert une puissance destinée à aucune vocation particulière (sans affectation ni usage ou emploi précis) : c’est un non-personnage, une personne de l’entre-monde.

Il n’y a pas d’autres déterminations, dans ce lm, que les traits formels de cette déambulation par la comédienne, pas d’autres contenus ou occupants que cette unique présence en mouvement qui est là pour s’affranchir de la ruine révolutionnaire des hommes sur la Terre : elle marche sans cesse et partout. Tout au long de la déliaison entre l’image et la voix, de la non–coïncidence entre le corps de l’actrice et sa parole, cette expérience des temps — le temps géologique (le paysage), le temps métaphorique (l’eau, la mer), le temps éprouvant la pensée (la marche) —, Il n’y a pas d’histoire, il n’y en a plus. Il n’y a d’instance narrative qu’effondrée et qu’impersonnelle, il n’y en a plus. Désir de recommencer au bon endroit et désir éperdu de trouver cet endroit et de lui conférer une assise.

Le fiLm d’en finir ou pAs témoignerait de la progression de cette errance, à la recherche de ses propres règles : ce serait l’expérience d’une perdition. Car tout est à refaire tout le temps dans un espace rendu réel et mental « où se télescopent tous les autrui comme débris d’un naufrage permanent » (David Lapoujade).

Une anti-héroïne apparaît, elle disparaît. Elle va réapparaître. 

 

 

 

 

1 Recommencement 

 

 

Jour

 

Premier 

 

Soleil

 

La chaleur n’est pourtant pas venue 

 

Elle marche

 

Elle n’a pas toujours été la 

 

Elle parle

 

La voix ralentit

 

La voix qui vient de parler résonne dans l’écho des dunes

 

Elle est silence

 

Dans l’écho de la mer

 

On sait 

 

On sait résolument qu’elle n’est jamais partie

 

Aucune arrivée

 

Aucune sortie possible

 

Elle marche comme invisible 

 

Elle ne vient pas là comme elle irait ailleurs

 

On ne vient jamais ici comme on irait partout

 

Elle est comme tout le monde

 

Elle serait tout le monde 

 

Elle interroge

 

Elle questionne tout de la voix 

 

Elle marche et interroge

 

C’est tout ce qui a lieu 

 

Il s’agit d’elle

 

D’elle au devant de tout : les routes, les zones industrielles, le port, les dunes, les clairières

 

La plage, la mer, la forêt, les prairies, les bunkers… 

 

 

 

 

2 Recommencement 

 

 

Elle reste debout devant une allée — celle qui mène à la mer

 

Elle hésite, puis se dirige vers la rocade extérieure qui conduit au port

 

Elle continue, c’est son pas régulier 

 

Elle traverse l’espace en question 

 

Elle dit Où est-on ici ?

 

C’est sa voix qui le dit

 

Elle s’en va comme elle est arrivée

 

Sans hésitation, sans prévenir 

 

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Elle se promène parmi les autres

 

Elle les regarde, les autres, sans retenue aucune

 

Elle ne parle jamais tellement elle a de choses à dire — trop

 

__

Donc le silence du jour

 

Donc le silence de cet espace presque vide 

 

Elle sait 

 

Elle sait à qui s’adresser, n’est-ce pas ?

 

__

Elle réfléchit 

 

Les yeux toujours au-déjà de la mer 

 

__

Soudain on n’entend plus rien que des oiseaux 

 

Elle procède de tout parmi ce qu'elle traverse

 

Sauf la mer ?

 

Elle reconnaît 

 

Elle cherche à reconnaître mieux 

 

Elle sait ce qui est arrivé

 

On le sait tous

 

Près de la mer il fait encore clair 

 

Quelqu’un regarde 

 

On ne va quand même pas décrire ce qui est vu

 

Nuit presque complète 

 

Dans ses mains il y a des cargos qui partent vers le jour

 

 

 

 

3 Recommencement 

 

 

Dernier jour

 

Soleil

 

Une mer bleue

 

Pourquoi pose-ton toutes ces questions ?

 

Pourquoi ces jours paraissent-ils si longs ?

 

Elle marche encore

 

Elle a compris qu’il lui fallait faire cet effort 

 

Plus tard le temps s’est un peu couvert 

 

On ne sait pas bien pourquoi elle pose toutes ces questions 

 

Qu’est-ce qui serait possible maintenant ?

 

Temps éclatant

 

La marée est d’équinoxe

 

C’est le temps de ne rien oublier 

 

De tout recommencer avec

 

Elle marche

 

On la voit toujours à travers le filtre de la caméra 

 

On la voit plus que personne d’autre

 

Elle rassemble tout à elle seule

 

Avec l’intelligence, la voix blanchit, presque neutre 

 

Elle va vers elle, la mer

 

Et dans un long cri elle appelle

 

Elle vient 

 

On ne voit pas ce qu’il y aurait à raconter sur elle

 

Elle semble en proie à une idée commune 

 

Une idée commune à tous les peuples qui ont vécu, vivent et vivront

 

On aperçoit quelque chose de son intérêt pour ce qu’elle voit

 

Les dunes, le sable, la mer… 

 

Les colonies d’oiseaux et de lions de mer et de libellules…

 

Les mots étouffés…

 

Les peuples perdus…

 

Les peuples recommencés…

 

Les peuples recommencés d’avoir été perdus…

 

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Elle regarde en direction du phare 

 

Maintenant il faut partir

 

C’est elle qui disparait la dernière 

 

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De ce qu’elle voit, elle ne peut pas décider ?

 

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Elle marche en continu

 

Elle doit traverser 

 

Elle a dû le faire longtemps 

 

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L’histoire est dans ces quelques phrases

 

Il n'y a pas d’autre fonction particulière

 

Juste peut-être un état des lieux

 

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Elle marche vers l’origine, on dirait

 

Elle porte cette conscience d’être faite de quelqu’un d’autre

 

Du temps de quelqu’un d’autre, de tous les autres 

 

Elle porte cette conscience de vivre une histoire, toute la mémoire du monde 

 

Une histoire qui ne lui appartient pas complètement 

 

Une histoire qu’elle doit partager avec ceux venus avant elle

 

Et avec ceux qui viennent aussi après

 

Et ceux qui viendront après

 

 

 

 

4 Recommencement 

 

 

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