un film = un livre
LE FILM DES QUESTIONS
Un livre = un film
Filmer un paysage en Alabama où un jeune tueur en masse, le mardi
10 mars 2009, assassine dix personnes au hasard avant de mettre fin à ses jours.
Croire au monde, croire à la réalité de ses ruptures internes, voir
comment l'événement se perpétue, balbutie, reste en suspens dans la faille majeure qu'il crée.
Ceci n'est pas un film sur ceci. Chaque question posée est une bifurcation, une déviation, une prolifération devant la route qui se jette droite devant nous.
—> Un Livre paru aux éditions Plaine Page, en mai 2014.
—> Un Film, commande du Festival Hors Pistes 2015, Centre Pompidou.
LE FILM DES QUESTIONS
Ecrit et réalisé par Frank Smith
Avec Garance Clavel & Adrien Michaud
La Musique des questions, composition et interprétation Philippe Langlois
Image & montage Arnold Pasquier
Son et mixage Ivan Gariel
Co-production Les Films du Zigzag / Centre Pompidou
Remerciements à Pascale Bondu, Didier Coudray, Baptiste Coutureau, Charlène Dinhut, Géraldine Gomez, Kim Lévy, Camille Mancy ainsi qu’à Chantal Akerman et François Bonenfant
*
Le Film des questions est un dispositif à double entrée : un livre et un film. Le Film des questions est une opération blanche placée sous le sceau d'une réflexion de Karl Marx : « Les hommes ne peuvent rien voir autour d’eux qui ne soit leur visage, tout leur parle d’eux-mêmes. Leur paysage même est animé. »
Ce livre dit qu’il est à voir, ce film montre qu'il est à lire. On se trouve devant livre et film comme désarmé, comme désarmé face à un fait divers : un tueur assassine en masse dix personnes avant de mettre fin à ses jours, entre 3:30 et 4:17 de l'après-midi, le long d'un itinéraire qui court de la ville de Kinston jusqu'à la ville de Geneva, en Alabama, le mardi 10 mars 2009. Ce qui serait donné à lire et à voir ne serait plus des significations – fixées, arrêtées, mortes – mais des rapports (de matières, de sens, de productions vivantes).
*
Le Film des questions se compose ainsi d’un livre et d’un film. Le livre dit qu’il est à voir, le film montre qu’il est à lire. Le Film des questions interroge le statut du paysage en tentant d’appréhender, par son décor, un fait divers nous laissant impuissants : en mars 2009, un homme assassine dix personnes avant de mettre fin à ses jours, le long d’un itinéraire courant de Kinston à Geneva, en Alabama. Dans un écart de temps et de lieu, Frank Smith réinvestit cet événement désarmant en questionnant les rapports vivants entre faits, récit, image et langage. Frank Smith revisite via Google Street View la route parcourue par l’homme ce jour-là, non sans évoquer le film AKA Serial Killer dans lequel Masao Adachi expérimente sa « Théorie du Paysage », tentant d’appréhender, par ce dernier, le cheminement d’un serial killer.
Pour Hors Pistes, Frank Smith mêle la projection de son film avec une lecture musicale de son livre, en direct, par les comédiens Garance Clavel et Adrien Michaux, sur une musique du compositeur Philippe Langlois.
Le show est le moment d'une transformation : indice que la catastrophe peut commencer, commence, et sera, ici ou ailleurs, menée jusqu'à son terme.
Diffusion
Pera Museum, Istanbul, 11 & 18 mars 2015
Musée de la Chasse et de la nature, Vidéo for ever, Paris, 22 juin 2015
La Panacée, Montpellier, 7 mai 2015
Montévidéo, Marseille, 3 juin 2015
Maison des Fougères, Paris 20e, 10 juillet 2015
Festival Voix vives, Sète, 25 juillet 2015
Galerie Analix Forever, Genève, 10 octobre 2015
Hors Pistes Paris, janvier 2016
Hors Pistes Tokyo, juin 2016
Presse
LE FILM DES QUESTIONS
Notes pour un film
« Que les choses continuent à aller ainsi, voilà la catastrophe. Ce n'est pas ce qui va advenir, mais l'état de choses donné à chaque instant. Le sauvetage s'accroche à la petite faille dans la catastrophe continuelle. Il faut étudier la question de savoir dans quelle mesure les extrêmes qu'il faut saisir dans le sauvetage sont ceux du 'trop tôt' ou du 'trop tard'. » Walter Benjamin
Le déroulé des événements ne peut paraître que pressenti dans ce film, le paysage de ce paysage. Donc autant renverser, autant filmer un paysage autre et différent — comme les Straub filment l'Amérique de Kafka en pleine Allemagne contemporaine.
Filmer le son. Filmer le texte du son. Filmer les voix qui disent le texte du son. Filmer l'acteur qui dit les faits, l'actrice qui posent les questions. On les voit au début, on les voit au milieu et on les voit à la fin du film. Dans le plan final, la caméra commence à panoramiquer jusqu'à ce qu'à la fin on ne voie plus que la fenêtre située derrière les acteurs. Par la fenêtre, on voit des arbres et le ciel. Puis cela vire au blanc.
Le film dit qu'il est à lire. On se trouve devant lui comme désarmé, comme désarmé face à ce fait divers, un jeune américain qui supprime en une heure de temps une dizaine de personnes au hasard. Aussi désarmé que dans le réel. « Ce qui serait donné à lire et à voir ne seraient plus des significations – figées, arrêtées, mortes – mais des rapports (de matière, de sens, de production). »
Ce film est le lieu d'une transformation. Indice que l'ébranlement, la catastrophe peut commencer, commence, et sera, ici ou ailleurs, menée à son terme. Tout au plus l'indication de cet ébranlement, l'euphorie d'une destruction. Il faut tout recommencer, tout laver pour recommencer. Filmer un paysage lambda c'est laver le paysage d'Alabama où ont eu lieu ces crimes.
C'est juste une leçon de métrique. Trouver un paysage en France ou en Italie qui soit aussi plein, aussi long, aussi large que la route 52 du comté de Geneva, Alabama.
Ce livre est un tremplin au film. Il ne le recouvre pas. Il ne le prolonge pas puisque le film n'existe pas encore. Ce livre augure, il ouvre, il questionne. Il dit que tout est possible. Il dit que le film lui-même est possible. Ce livre est composé de mots, les images appartiennent au film qui n'existe pas encore. Les seules images du livre sont celles des mots, des séquences de mots qui fondent le livre et ses questions.
On traite ici des séquences de mots comme des images qu'elles ne sont pas. Les images sans images du livre parviennent à soutenir la comparaison avec les images du film. De même, les mots entendus et vus et prononcés par les acteurs dans le film sont comme des images à part entière. De même, les mots du film seront traités comme des images. On doit voir les questions littéralement surgir de la bouche de ceux qui les formulent. Du paysage où elles sont incrustées.
C'est un travail de traduction. On traduit un paysage dans un autre. Une vectorisation du paysage américain dans un paysage européen.
Le crime est mondial. Les questionnements, planétaires.
Le Film des questions, par Luigi Magno (in Cahiers Critiques de Poésie)
Ce livre parle de “transactions”. Un fait divers en est le point de départ — l’histoire de Michael Kenneth McLendon, un jeune américain qui supprime au hasard une dizaine de personnes avant de se donner la mort — un film/installation l’aboutissement. Au milieu, entre les faits du 10 mars 2009 et le film à venir, trouve une place ce livre tampon où des constats factuels (“le fait est que”, “il a été établi que”, “on dit que”) croisent des séries de questionnements autour de la perception et de la représentation des faits. La rencontre entre ces deux registres sous-tend une méthode — pratique et sensible — qui interroge aussi bien nos rapports aux faits (qu’est-ce qu’un événement ? un paysage ?) que leur représentation et ses conditions de validité (qu’est-ce qu’un film ?), voire son efficacité à rendre les faits différemment saisissables.
VOIX DES QUESTIONS[extraits]
Séquence I
Des questions se posent-elles ? Des images se posent-elles ?
Est-ce que l'on pose des questions ? Est-ce que l'on pose des questions là où il y a des images ? Est-ce que l'on pose des questions là où il y a des coupes de paysages ? Est-ce que l'on pose des questions là où il y a des coupes de paysages, des blocs de paysages tranchés, segmentés par une caméra qui les saisit ?
Est-ce qu'on filme en surface des choses ? Où sont les choses dans les images qu'on prend ?
Où est l'événement ? Où est l'événement dans les images qu'on capture ?
Quand advient-il dans les images une fois saisies, le paysage absorbé ? Quand advient-il dans les images une fois saisies, le paysage absorbé par le regard à travers l'objectif de la caméra ?
Où se situe l'événement dans l'image ? Où se situe l'événement dans le film ? Dans les blocs de paysages découpés ?
Où va-t-on trouver cela ? Où va-t-on trouver cela dans les choses ? Dans les bois, dans les forêts d'Alabama ? Où va-t-on trouver cela dans les choses ? Dans les malls, dans les sanctuaires ultra-consommatoires de la société américaine ? Où va-t-on trouver cela dans les choses ? Sur les terre-pleins des highways d'Alabama ?
Où cela ?
Séquence II
Qu'est-ce qu'on trouve dans le paysage ? Qu'est-ce qu'on trouve, qu'est-ce qu'on y voit ?
Une singularité du paysage existe-t-elle ? L’Alabama, le grand-sud, la mousse espagnole ?
Quelle possibilité de paysage, en Alabama ? Quelle possibilité de paysage pour quelle potentialité d'images, en Alabama ?
Est-ce qu'on peut en faire quelque chose ? Est-ce qu'on peut trouver dans l'image ce quelque chose qui a eu lieu dans le paysage ? Est-ce qu'il peut se donner pour qu'on en fasse quelque chose, le paysage d'Alabama, les forêts noires d'Alabama, les terre-pleins herbeux entre les highways d'Alabama ?
Est-ce qu'ils prennent corps dans un état de choses, les crimes enfouis à la chaîne, les dix meurtres commis, le 10 mars 2009 ? Est-ce qu'ils prennent corps dans un état de choses, dans un état de faits, la série des crimes enfouis dans le paysage, le 10 mars 2009 ?
Est-ce qu'il a existé, de toute éternité, sans ce crime à venir, le paysage ? Est-ce qu'il peut encore exister sans l'événement qui l'a anéanti, le paysage ? Est-ce qu'il peut désormais vivre, poursuivre sa route de paysage sans le crime, le paysage ? Est-ce que la route est la route encore elle, dans le paysage ? Est-ce que la mousse espagnole est la mousse espagnole encore elle, dans le paysage traversé ?
Est-ce qu'il comporte des affects, le paysage ? Est-ce qu'il a le droit aux affects, le paysage ? Une qualité considérée dans un état de choses, est-ce qu'il en a le droit ? Une qualité considérée dans un état de choses, dans un état de crimes, une série de crimes, est-ce qu'il peut la contenir, le paysage ?
Est-ce qu'il porte en lui l'événement du crime à venir, du crime réalisé, le paysage ? Du crime réalisé et prétendument effacé ?
Où se sont défaits les crimes quand on a débarrassé le paysage des corps morts d'Alabama ? Où se sont effacés les crimes quand on a débarrassé le paysage des cadavres d'Alabama ? Des cadavres au hasard ? De la route au hasard ?
Où cela ?
Séquence III
Le tir de la carabine, le tir de la carabine à onze reprises, le tir de la carabine et le coupant du couteau, à onze reprises, est-ce que c'est pareil ?
Le tranchant du couteau, c'est où ? Le coupant, le tranchant du montage dans un film, qu'est-ce que c’est ?
Est-ce que c'est dans l’événement, dans la part de ce qui n’a jamais fini de se produire ? Est-ce que c'est dans l’événement, dans la part de ce qui n’a jamais commencé d’arriver ? De ce qui n'a jamais fini d'arriver ?
Est-ce qu'un événement, une série de crimes dans les bois d'Alabama, dure encore après qu'ils aient eu lieu ? Est-ce qu'il arrive, l'événement arrivé dans l'objectif de la caméra ? Est-ce que le montage du film, c'est prolonger l'événement qui n'a jamais fini de se produire ?
Comment saisir par les images ce qui continue ? Comment saisir par les images ce qui continue, qui ne cesse pas d'arriver dans le paysage ?
Est-ce que le paysage peut exister indépendamment de l'événement, la série de meurtres qui ne cessent plus ?
Le sang coule-t-il encore ? Est-ce que le sang coule ?
Est-ce qu'on peut parler du tranchant du couteau pris en lui-même ? Du tranchant d'une carabine, est-ce qu'on peut en parler ? Du tranchant d'une carabine qui tire au hasard sur des gens, des people au hasard, est-ce qu'on peut en parler ?
Qui flingue au hasard dans les bois d'Alabama, au hasard, dans les forêts noires et pendues des highways d'Alabama, est-ce qu'on peut en parler ?
En tant que lui, le tranchant du couteau, est-ce qu'il a déjà commencé avec l’acte de trancher ? Et est-ce qu'il n’est pas fini avec le résultat d’avoir tranché ? Est-ce que le tir de la carabine n'est pas fini avec le résultat d'avoir atteint sa cible ? Est-ce qu'il n'est pas possible de le reprendre aussi bien, le couteau, le tranchant du couteau, et trancher du pain à nouveau, retrancher du re-pain ? Est-ce que l'on peut acheter du pain frais dans les malls ultra-consommatoires en Alabama ? Est-ce que le pain est frais en Alabama ? Est-ce que le pain est rassi en Alabama ? Est-ce que les cadavres sont rassis quand le sang a coulé ? Est-ce qu'il est possible aussi bien de le reprendre, le couteau, si tout va bien, en Alabama, et est-ce qu'il possible de tuer encore, re-tuer encore, re-re-tuer encore une personne au hasard, une re-personne, une re-re-personne ?
Entre les deux, entre deux meurtres, entre deux découpages de pain, le tranchant du couteau aura-t-il toujours été là ? Entre les deux, entre deux meurtres, entre deux découpages de pain, le tranchant de la carabine aura-t-il toujours été là ? Le tranchant du montage du film aura-t-il toujours été élucidé ? Les meurtres commis, les tranchants du couteau, du pain, du montage, n’en auront-ils jamais fini et auront-ils jamais commencé ?
Séquence IV
Est-ce que l'on voit la lumière dedans ? Dedans les choses ? Dedans les choses filmées ?
Où est-elle la lumière ? Dans les choses ? Dans les événements qui relient les choses ?
Comment cerner, tracer la collection des lignes de lumière et des figures de lumière ? Comment cerner, tracer la collection des lignes de lumière et des figures de lumière quand c’est absolument autre chose ce qui plus tard apparaît comme ligne rigide ou figure géométrique ou corps solide dans l'image ? Est-ce que la matière n'est pas lumière, la lumière ?
Comment faire apparaître la lumière, les lignes de lumière entre les choses, les figures de lumière à la place des choses, en Alabama, dans le noir d'Alabama, dans les forêts noires d'Alabama, dans le noir-Alabama ?
Comment, sur chaque plan du film, la lumière ne cesse-t-elle pas de diffuser ? Est-ce que le plan connaît le haut, le bas, la droite, la gauche, les corps solides ?
La lumière sur ce plan, qui ne cesse de diffuser, c’est-à-dire de se propager en tous sens et toutes directions, connaît-elle réflexion ? La lumière sur ce plan, qui ne cesse de diffuser, c’est-à-dire de se propager en tous sens et toutes directions, connaît-elle réfraction ?
Comment ne cesse-t-elle pas, la lumière, d'aucun arrêt d’aucune sorte ? Comment ne cesse-t-elle pas de se propager, la lumière d'Alabama, la lumière noire des forêts noires d'Alabama ? Comment ne cesse-t-elle pas, la lumière dans le noir-Alabama, de diffuser toujours jusqu'ici ?
Séquence V
Où est l’œil ?
L’œil est-il dans les choses, dans les choses reliées par l'événement, la série de crimes en mouvement ? Les figures anéanties des corps abattus au hasard et qui ont disparu ?
C’est parce que l’œil est dans les choses, c'est ça ? Les images sont lumière, c'est ça ? C'est ça, les images sont lumière ? Les images sont lumière et cette lumière ne cesse de se propager exactement comme l’image est mouvement, c'est ça ? C'est ça, en Alabama, et dans tous les Alabama du monde ?
Comment approcher le mouvement des choses par l'image, le mouvement des choses reliées par l'événement dans les choses, le paysage ? Comment le mouvement ne cesse-t-il pas de se propager ? De mouvement reçu, comment se transforme-t-il immédiatement en mouvement de réaction, engrenage sans fin d’action et de réaction ?
Si film il y a, la suite des images saisies par le film n'est-elle pas déjà prise et tirée dans les choses ? Tirée dans les choses reliées par l'événement ? Tirée dans les choses et les corps tirés à coup de carabine ? Les choses reliées par l'événement d'une série de crimes ? Une série de crimes, de personnes tirées au hasard entre Kinston et Geneva, en Alabama, le 10 mars 2009 ?
Et dans ce cas, est-ce que la lumière se révèle ? Cette lumière d'Alabama a-t-elle besoin de se révéler ? Est-ce que le corps noir des people abattus au hasard dans les forêts d'Alabama se révèle dans le film ? Est-ce que le corps noir des people abattus au hasard dans les forêts d'Alabama se révèle dans le film qui ne les filme pas ?
Est-ce que la lumière a besoin de se révéler comme elle ne cesse de se propager et de diffuser toujours ? Est-ce que la lumière ne se révèle que dans la mesure où elle est arrêtée par une opacité, un noir quelconque ? Un arbre ? Une meute d'arbres ? Une meute de voitures de police ? Un remord ? Un noir noir ? Une meute de remords noirs ? Une forêt noire d'Alabama ?
Les choses ne sont-elles pas lumineuses ? Les choses par là même ne sont-elles pas mouvement ? Ne sont-elles pas, les choses noires d'Alabama, des lignes de lumière, des figures de lumière ?
Est-ce que le film le sait ? Est-ce que le film le peut ?
Séquence VI
Qu’est-ce que la conscience du paysage ? Qu'est-ce que la conscience des choses dans le paysage filmé ? La conscience est-elle le contraire d’une lumière ? Et ce qui est lumière, n’est-ce pas la matière ?
La conscience, n'est-ce pas ce qui révèle la lumière ? La conscience n'est-elle pas l’écran noir ? La conscience n'est-elle pas l’opacité qui révèle la lumière et la fait se réfléchir ? Les choses ne s’éclairent-elles pas elles-mêmes, d'elles-mêmes ? Et qui s’éclairent tellement bien que la lumière n’est jamais révélée ?
L'image dans les choses n'est-elle pas transparente ? Ne faut-il pas l’image vivante pour fournir l’écran noir, ce que va réfléchir la lumière ?
Ne sommes-nous rien d’autre que ça ? Ne sommes-nous pas que des écrans noirs ? Ne sommes-nous pas que des opacités dans le monde de la lumière ? Dans le monde de la lumière-monde ?
Séquence VII
Comment isoler les choses à filmer ? Comment séparer les choses à filmer ? Le cadrage est-il cette opération-là ?
L’opération qui isole sur un ensemble infini d’actions ou d’excitations subies tel ou tel ensemble fini d’excitations, comment la mettre en place ? L’opération de la perception serait-elle un cadrage, une mise en tableau ?
Comment constituer le cadrage du monde ? Comment constituer le cadrage du monde par le vivant des choses ? Comment quitter le centre d’indétermination des choses ? L'indétermination des choses reliées par l'événement, comment ? L'indétermination des arbres perdus et pendus dans les forêts noires d'Alabama, comment ? L'indétermination, comment ?
Séquence VIII
Et la douleur, le prix de la douleur, qu'est-ce qu'on en fait ? La douleur sous toutes ses formes, qu'est-ce qu'on en fait ? Douleur physique, douleur morale, angoisses de toutes sortes, qu'est-ce qu'elle fait la douleur dans le paysage ?
Voyez-vous la douleur dans les choses traversées par le crime, une série de crime ? Voyez-vous ? Comment voyez-vous ? Une série d'itinéraires sur le réseau des routes d'Alabama, voyez-vous ?
Pourquoi elles ont immobilisé l'une de leurs faces, les choses ? Et comment voir ? Comment voir de ce visage peu mobile ? Comment voir de ce visage peu mobile quand tout voit autour de soi ? Comment voir devant et sur les côtés ? Comment voir au-dessus, au-dessous ? Comment voir ce qui arrive derrière ? Comment cerner tous les intervalles ? L'infiltration, l'insinuation des traces laissées par le crime, une série de crimes dans le paysage d'Alabama, comment voir ?
On a peur des choses, n'est-ce pas ? N'a-t-on pas peur des choses ? Ne vit-on pas dans la peur ? Pourquoi avoir peur ? Pourquoi a-t-on peur ? Comment éviter les yeux d’angoisse ? Comment vivre avec cela ?
Qu'est-ce qu'un vent, un vent de cinéma ? Un courant d'air, un courant d'air de cinéma ? Le peuple des gens d'Alabama, comment dépasse-t-il la peur ?
Comment réparer l'écart ? Comment diviser la loi qui divise ? Comment couper la loi qui coupe ? Le tranchant de la loi ?
Ne peut-on pas travailler ce qui fait échec ? Ne peut-on pas travailler ce qui fait échec en résistant ? Ne peut-on pas travailler ce qui fait échec en restant ?
En restant ici et là ? En restant ici et là dans le vent ?
Séquence XIX
N'est-ce pas là la figure que les people d'Alabama doivent prendre en compte dans l’instant décisif ? L'instant décisif d'un salut, ne peut-on pas ? L'instant décisif d'une élection, ne peut-on pas ?
Les people d'Alabama entre les arbres, entre les forêts d'arbres d'Alabama, le vrac de la mousse espagnole, ne doivent-ils pas se produire en reste ? Prendre la figure de ce reste ?
Qu’est-ce qui, dans chaque situation du film se poserait en tant que reste ?
Où est la vie personnelle ? Où est la vie impersonnelle ? Sont-elles toujours en rapport, même si nettement séparées, les vies personnelles et impersonnelles ?
Qu'est-ce qui nous dépasse et nous fait vivre en même temps ? Comment être en rapport avec cette puissance-là ? Comment être en rapport avec cette puissance-là dans les choses ? Comment être en rapport avec ce qui ne nous appartient pas ? Comment être en rapport avec ce qui nous dépasse dans les choses ? Comment être réellement présent à ce qui se passe dans les choses ? À ce qui vient, ou émerge dans les choses ? Et comment rendre présent ce présent dans les choses ?
Est-ce que le film le sait ? Est-ce que Le Film des questions le peut ?
Séquence X
Et la caméra dans tout ça ? Que peut-elle, que ne peut-elle pas ?
La caméra est-elle une simple ouverture passive sur un spectacle donnée ? N'implique-t-elle pas un « accent » ? Une intonation ? Une inflexion ? Un cri ?
L'idée de l’œil n'est-ce pas que l’œil est toujours là, que les choses viennent s'inscrire mécaniquement, et advienne que pourra ?
Le regard implique-t-il l'envie de regard ? Le regard comme une force ? Qui se bande, qui se débande ?
Comment filmer pour que le rapport de la caméra à ce qui est filmé ne soit pas le rapport de la chose inerte et passive à l’œil objectif ? Comment déjouer l'idée qui fait que l'écran serait comme une fenêtre ouverte sur le monde ? Comment déjouer l'idée selon laquelle le « spectacle du monde » viendrait s'y inscrire en quelque sorte de lui-même ?
Le peuple des people d'Alabama n'est-t-il pas un regard ?
On voit les bois, les forêts, les malls d'Alabama et on entend qu'ils subsistent à toutes épreuves auxquelles dans les millénaires l'idée est exposée, c'est ça ?
Ces bois, ces forêts, ces malls d'Alabama, ils se mettent-ils à fonctionner d'une certaine manière, c'est ça ? Ne sont-ils pas ceux qui dans les millénaires viendront à résister ? À rester en reste ? À rester en reste ici et là dans le vent ?
Séquence XI
Le Film des questions, un film fragmentaire ? Un film fragmenté ? Un film qui n'a pas de centre ? Un film au centre mobile et mouvant et changeant ?
Est-ce que filmer ne serait pas filmer l'ombre du film en train de se faire ?
Comment filmer les choses où rien ne se révèle ? Comment filmer les choses du silence et du non-dit si on veut qu'elles se montrent ?
Comment être en contact avec les choses ?
Le film de ces choses-là est-il l'absence de réponse d'un film en train de se faire et se défaire ?
Le film des questions laisserait-il ces questions ouvertes ? Les questions qui ont été, celles qui sont et celles qui vont être ? Les questions qui ne sont pas encore, celles qui n'ont pas encore touché par contact les choses fluctuantes en devenir ?
Le film de ces choses-là, où ça ?
Séquence XII
Qu'est-ce qui s'est évacué dans les 30 kms de paysage filmé ? Qu'est-ce qui a été évacué, vidé des terres, vider du trafic, vider des forêts d'Alabama ?
Qu'est-ce qu'une image objective ? Qu'est-ce qu'un objectif ? Qu'est-ce que la variation des images ? L'interaction des images, c'est quoi ?
Cette activité de la caméra, qu'est-ce que c'est ? Cette activité de la caméra dans les forêts d'Alabama qui atteint cela, variation et interaction des images, qu'est-ce que c'est ? Qui atteint variation et interaction des images par rapport à un point de vue déterminé, préconçu, prédéterminé, programmé et anticipé, qu'est-ce que c'est ?
Où chercher l’œil ? Où chercher l’œil de l’œil qui n'est pas que de l'homme ? Un autre œil, où le trouver ? Un œil pas humain, un œil pas d'homme, où le trouver ?
Rendre au monde sa virginité, c'est possible ? Sa virginité, c'est possible ? Comment faire pour rendre au monde le monde d'avant l'homme ? Comment faire pour rendre le monde d’avant l’homme qui n'est pas le monde tel qu’il est sans l’homme mais qui est sans doute le monde dans lequel l’homme surgit comme dans une sorte d’acte de naissance ?
Le voir surgir comme dans une sorte de double naissance, le monde des meurtres commis, c'est possible ? Dans une sorte de double naissance et du monde et de l’homme, c'est possible ? Dans une sorte de double naissance et du monde et de l’homme et du rapport de l’homme avec le monde, comment faire ?
Séquence XIII
Est-ce qu'on sait se confronter à la réalité non du film mais de la chose filmée ? Est-ce que ça rend plus plein le présent, les crimes d'hier et les crimes qui vont venir ? Quelle distance réinventer avec le film des questions ?
Si le langage est le sujet dans la poésie, où est le sujet dans le film ? Le montage est-il le sujet du film ? Le vide à filmer est-il à couper/monter dans le sujet du film ? Filmer le rien et le vide qui sont les sujets du film ? Désigner par la caméra qui enregistre le rien et le vide des objets et des sujets que l'on filme ? Filmer pour fracturer le monde et le refaire, fracture de ce qui advient devant la caméra et le recomposer ? Filmer dans les choses les faits divers ayant eu lieu dans les choses ? L'échange, le relais entre le familier, le normal dans les choses et le remarquable, l'événement dans les choses quand elles ont eu lieu ?
Si le fait divers ne commence que quand le monde a cessé d'être nommé, est-ce que filmer le fait divers dans les choses, c'est filmer l'état du monde quand il a cessé d'être vu ?
L'autre c'est la langue elle-même ? Quelle langue parler dans un film, le film des questions ?
Le bois, la forêt d'Alabama que l'on filme, ils sont semblables à du bois, à de la forêt d'Alabama, c'est ça ? Peut-on supprimer ou du moins mettre en veilleuse l'interférence lyrique entre ce que l'on voit et ce que l'on filme ? Peut-on être autre chose qu'un œil ?
Comment désarmer, désactiver son regard ? Comment désarmer, désactiver son regard entre ce que l'on est et les objets autour ?
Qu'est-ce que l'on peut apprendre de ce que l'on filme, quelle forme de savoir ? Quelle est notre position ? Quelle position prendre et adopter ? La guerre est-elle dans les choses ?
Comment donner une réalité qui soit suffisamment mise en forme pour qu'elle ne soit pas une réalité falsifiée ? La filmer donc la recomposer, remonter les choses de la réalité pour éviter, détourner la falsification ? Comment briser le lien entre l’œil qui filme et ce qui est filmé ? Filmer comme personne, filmer personne par personne la puissance d'un impersonnel ?
Où est le troisième œil ? Le tiers cinéma ? Le tiers œil ? L’œil impersonnel ? L’œil impersonnel de personne ?
Comment examiner la matière visuelle qui est filmée ? Qu'y a-t-il dedans ? Filmer entre deux, entre le fait divers, les crimes advenus ? Y-a-t-il des faits absolus d'une absolue définition ?
Est-ce là ce qui se donne à être filmé, qu'il faut remonter, recomposer ?
Séquence XIV
Comment calculer une distance ? Où se mettre ? Où poser la caméra ? Comment disposer des choses à filmer, des choses filmées ? Disposition, redisposition ? Les choses insolites dans les bois, dans les forêts d'Alabama ?
Est-ce que le fait divers est dans ces choses si redisposées, montées ? Comment présenter les choses dans leur forme vivante ?
Est-ce que j'ai un œil pour cela, une caméra ? Filmer par coupe, par remontage tout du long ? Les positions ne se prennent-elles qu'à prendre le rythme ?
Est-ce que la réalité factuelle est dans les choses filmées ?
Séquence XV
Où la vérité ? Où la vérité du signe ? Où l’essence des choses ?
L’essence des choses est-elle un « point de vue » supérieur au sujet et à l’objet ? Un point de vue qui enveloppe des paysages non actuels ? Un point de vue qui enveloppe des lieux immatériels, des connexions de l'esprit ?
Comment ne pas présager déjà des paysages non humains ?
Comment voir, oui ? Comment ne pas voir un monde mais voir un monde se dé-multiplier ?
Avons-nous autant de monde à notre disposition, plus différents les uns que les autres, que ceux qui roulent dans l’infini ? La différence, comment la cerner ? La différence concerne-t-elle toujours un monde différent ? Un point de vue différent sur le monde ? Une qualité dans un sujet ?
La différence signifie-t-elle qu’on n’est pas en présence des mêmes mondes ? Que l'on ne se meut pas dans les mêmes mondes ? Que l'on ne meurt pas dans les mêmes mondes ? Comment projeter la vérité d'un réel qu'on refuse ?
Les choses flottent-elles hors du monde ? Les choses s’incarnent-elles dans le monde ? Dans les matières ? Dans les individus ? Dans les corps de cadavres effacés ?
Comment briser pour que puisse apparaître l’espace entre les choses ? Leur fond commun ? La relation inaperçue qui les a jointes malgré tout ? Cette relation est-elle de distance, d’inversion, de cruauté, de non-sens ? Cette relation est-elle ?
Séquence XVI
La voix détimbrée du paysage n'est-elle pas là ? La sous-voix en sous-bois n'est-elle pas là ? À la lisière de ce qui est montré et de ce qui est exactement dans les choses, la voix détimbrée en sous-bois n'est-elle pas là ?
Ne l'entendez-vous pas ?
À surseoir à ce qui ne peut être vu, ni montré, cette voix détimbrée du paysage, ne l'entendez-vous pas ?
À ce qui va advenir qu'on ne voit pas encore, ne l'entendez-vous pas ?
Dans sa lente procession vers l'aboutissement de son affirmation, ne l'entendez-vous pas ?
Elle est là.
la guerre est une terreur qui ne veut pas cesser
dans l'âme et dans le monde
P.P. Pasolini